La réalité russe d’aujourd’hui ressemble de plus en plus à une « échelle de danger » : si vous êtes une personne sensée, avec votre propre position sur la guerre en Ukraine — et, plus encore, si vous ne vous taisez pas, si vous menez une vie sociale sur internet — vous ne pouvez déjà plus vous sentir en sécurité. Et si, en plus, vous visez un rôle qui confère la moindre autorité ou une influence publique, le risque augmente brutalement : n’importe quel mot, n’importe quelle ancienne publication, n’importe quelle intonation « gênante » peut soudain servir de prétexte — et, dans cette logique, la liberté cesse d’être un droit pour devenir une exception.
Dans ce contexte, l’intervention du vice-président du parti Iabloko, Maxim Kruglov, devant la Cour de la ville de Moscou a résonné de manière particulièrement révélatrice — lors d’une audience en appel sur la mesure de détention provisoire. Il a directement relié les poursuites pénales engagées contre lui à des motivations politiques et a décrit ce qui, selon ses mots, est vécu en détention provisoire comme une formule quotidienne, presque fatale, de la routine judiciaire.
Kruglov a expliqué que pendant sa détention — « déjà presque trois mois » — il a vu comment, parmi les détenus, s’est imposée une « abréviation sinistre », « BZ », c’est-à-dire « sans changement ». Selon lui, on l’entend « chaque jour » — lui, ses codétenus et d’autres prisonniers : « Nous comprenons que la question de la mesure de détention est, en principe, entre les mains de l’enquêteur. » Il a souligné que la connaissance qui, dehors, était « théorique » est devenue, « entre ces murs », « assez concrète », parce que le tribunal, comme il l’a dit, n’est pas enclin à contredire l’enquête, même lorsque les justifications paraissent « absurdes et ridicules ».
Kruglov a également précisé ce qu’on lui reproche exactement : « On me reproche une publication sur internet datant de 2022, d’avril, si je ne me trompe pas… une publication… écrite il y a 3,5 ans. » Il a opposé cela à des accusations graves : « On ne m’accuse ni de meurtre, ni de fraude, ni de corruption, ni de violence — mais d’une publication », qui, selon lui, pendant des années, « n’a suscité aucune question » et n’était pas perçue comme « une menace pour la sécurité de l’État » ni comme « un crime contre l’État ». « Maintenant, ils le considèrent ainsi », a-t-il constaté, soulignant que le statut d’une ancienne publication a soudainement changé.
Kruglov a ensuite reli qb ce qui se passe au contexte politique et à sa propre position au sein du parti. Selon lui, à l’approche des élections à la Douma d’État, le système — tel qu’il le comprend — ne veut pas le voir en liberté : « Et je comprends qu’avant les élections à la Douma d’État, moi, en tant que vice-président du parti “Iabloko”, je ne peux pas, selon le système, être libre. » Il a expliqué la logique ainsi : le parti défend « à la fois un accord de cessez-le-feu et la paix », et donc l’affaire est « une histoire politique ». « Les élections à la Douma approchent, et cela signifie que, pour une raison ou une autre, il faut que je sois dans ces lieux », a-t-il déclaré au tribunal.
Il a toutefois ajouté une précision : d’après ses observations, il ne s’agit pas d’une « justice sélective » au sens étroit. Dans sa vision, le système est également froid envers tout le monde, et la formule « sans changement » est universelle. « Affaire politique ou non — c’est toujours sans changement, toujours une prolongation, si l’enquêteur et le procureur présentent une telle requête », a dit Kruglov.
Le dernier accent de son intervention n’était pas seulement politique, mais aussi moral : il a jugé évident que maintenir une personne en prison pour une « publication pacifique et humaniste » n’est pas seulement cruel, mais dépourvu de sens. Comme l’a formulé Kruglov : « garder quelqu’un en prison pour une publication pacifique et humaniste sur internet n’a aucun sens et contredit… les considérations d’humanité, de justice et même de bon sens. »