Chaque jour, on entend dire : la démocratie s’affaiblit. Ce qui inquiète le plus — les électeurs eux-mêmes cessent d’y croire, alors qu’ils devraient en être les principaux bénéficiaires. Les gens voient des problèmes non résolus — l’inégalité croissante, la migration — et se tournent de plus en plus vers les populistes radicaux. Dans les grandes démocraties, des mouvements comme l’AfD en Allemagne et MAGA aux États-Unis gagnent du terrain ; ils affichent des sympathies pour des régimes autoritaires, dont celui de Poutine, et, selon les médias, reçoivent parfois leur soutien.

Le principal catalyseur de ces tendances est la guerre en Europe déclenchée par Poutine. Dans ce contexte, nous affirmons : la démocratie libérale a fait faire à l’humanité un bond colossal en avant, mais n’a pas développé de mécanismes d’autoprotection en période critique. La valeur clé de la démocratie — la protection des droits humains et des minorités — n’est jamais devenue une norme quotidienne de comportement de masse. Cela signifie qu’une réponse institutionnelle est nécessaire.

De quoi parle cet article

  1. La démocratie libérale a amélioré de manière sans précédent la qualité de vie et la sécurité, mais elle est faiblement protégée contre les « virus » internes — mouvements radicaux anticonstitutionnels.
  2. La protection des minorités est son principal test de maturité. Cela inclut non seulement des garde-fous contre l’arbitraire de l’État, mais aussi une répression active de la xénophobie venant d’une partie de la majorité.
  3. Les partis libéraux au pouvoir craignent souvent d’agir fermement — par peur de perdre leur base électorale — et cèdent ainsi du terrain aux radicaux.
  4. Les citoyens empathiques et les organisations de défense des droits humains font évoluer la démocratie libérale moderne et jouent également son rôle « immunitaire ». Mais ils manquent de pouvoirs et de financement stable. Nous proposons de renforcer cet « immunité » via une institution constitutionnelle indépendante d’ombudsman, dotée du droit de saisir directement la cour suprême.

L’Europe entre valeurs et défis

L’Union européenne réunit des pays juridiquement engagés à respecter « la stabilité des institutions garantissant la démocratie, l’État de droit et les droits humains ».

Aujourd’hui, la préservation de ces valeurs est remise en question même dans les grandes économies — l’Allemagne et la France. L’indicateur de déstabilisation — la croissance des partis d’extrême droite qui jouent sur la xénophobie et les slogans anticonstitutionnels. En Allemagne, l’AfD prétend déjà au pouvoir lors des prochaines élections.

Plusieurs causes :

La guerre de la Russie contre l’Ukraine : hausse des budgets militaires, afflux de réfugiés ukrainiens et d’émigrés politiques russes, tensions économiques — tout cela augmente la température émotionnelle et politique.

La confrontation globale : la Chine de Xi Jinping présente l’OCS comme un bloc opposé aux démocraties libérales — un défi direct à l’influence mondiale du modèle démocratique.

Les impulsions populistes aux États-Unis : le succès des slogans MAGA a affaibli l’autorité internationale du leader démocratique et a donné plus de confiance aux radicaux de droite en Europe.

Pourquoi la démocratie libérale est le sommet de l’évolution politique

Définition. La démocratie libérale est un système dans lequel le pouvoir est élu par des élections libres et équitables, limité par la loi, séparé entre différents pouvoirs, et où les droits et libertés sont protégés par des tribunaux et des institutions indépendants.

Réalité économique. Les pays non démocratiques produisent environ ⅓ du PIB mondial, les démocraties environ ⅔. Ce n’est pas seulement une corrélation : c’est la conséquence des libertés, de la prévisibilité des règles et de l’innovation.

Dividende de paix. Depuis plus de 70 ans, les démocraties ne se font pratiquement pas la guerre entre elles. Les Accords d’Helsinki de 1975 ont structuré des règles de sécurité paneuropéennes. Leur violation par la Russie a ramené le risque d’escalade nucléaire en Europe, montrant que la paix et la démocratie requièrent une protection quotidienne.

Leadership technologique. Les démocraties libérales ont assuré depuis 70 ans environ trois fois plus de croissance de PIB issue de technologies brevetées — avec un écart absolu atteignant un facteur 9.

Supériorité humanitaire. Elles consacrent environ trois fois plus de leur PIB à la philanthropie, y compris les dons privés.

Protection sociale. Elles allouent 20–25 % du PIB aux aides sociales — soit 1,5 à 2,6 fois plus que les régimes autoritaires ou hybrides (5–14 %).

Justice, humanisme et empathie : le moteur de l’évolution de la démocratie libérale

La démocratie libérale progresse en élargissant les droits des citoyens, grâce à la justice, l’humanisme et l’empathie — même contre la volonté de la majorité. Les empathes prennent souvent des risques personnels — arrestations, violence, exclusion — pour faire avancer les valeurs supérieures. Sans eux, le système stagne.

Exemples historiques :

Abolition de l’esclavage aux États-Unis. Des empathes comme Frederick Douglass et Harriet Tubman — moins de 2 % de la population — ont vaincu le soutien massif à l’esclavage.

Droits des femmes. Les suffragettes — seulement 4 % des femmes — ont résisté aux majorités hostiles, subissant arrestations et violences, et ont obtenu le 19ᵉ amendement (1920).

Dépenses sociales. Le New Deal de Roosevelt a instauré pensions et aides malgré l’opposition d’une partie du monde des affaires.

Droits civiques. King et ses alliés — 11 % de la population — ont obtenu des lois historiques malgré l’hostilité majoritaire dans le Sud.

Droits LGBT. Des militants comme Evan Wolfson — 3–5 % — ont obtenu la légalisation du mariage pour tous (2015).

L’être humain : porteur d’empathie et d’agressivité

La tentation de la dictature vient de la nature humaine : le leadership glisse souvent vers l’agressivité plutôt que l’empathie. Mais l’histoire montre aussi l’existence constante de personnes prêtes à résister au mal.

Du point de vue biologique :

  • les chimpanzés vivent dans une hiérarchie agressive ;
  • les bonobos résolvent les conflits par le jeu et le sexe ;
  • l’humain combine les deux tendances.

La science parle d’une « mosaïque de facteurs » — culture et institutions sont essentielles pour contenir nos impulsions destructrices.

Le cas américain : comment les idées deviennent des normes

Le projet constitutionnel américain repose sur la séparation des pouvoirs et sur un contrat social où le souverain reste le peuple. Mais l’égalité réelle a exigé des décennies et un mouvement massif d’empathes (droits civiques) pour s’enraciner.

La Déclaration universelle des droits de l’homme : la « constitution de la paix » européenne

Adoptée en 1948, elle est devenue un standard moral universel, base de nombreuses constitutions et de traités internationaux. Elle a contribué à la paix européenne et à la décolonisation.

Le retour des risques : pourquoi la « fin de l’histoire » n’a pas eu lieu

Le XXIᵉ siècle a vu le retour du néofascisme poutinien et la montée des radicaux en Europe. Les tensions migratoires et économiques nourrissent le national-populisme.

La réponse doit être systémique : renforcer institutionnellement le rôle des défenseurs des droits humains, jusqu’à leur permettre de saisir directement la cour suprême.

Qui sont les défenseurs des droits humains et pourquoi comptent-ils

Un défenseur des droits humains — c’est un citoyen dont la mission est la protection des libertés et de l’État de droit, souvent au risque de sa propre sécurité. Dans les régimes autoritaires, ils finissent en prison — comme aujourd’hui en Russie.

L’Allemagne comme test pour l’Europe : AfD et GFF

GFF prépare la base juridique d’une éventuelle interdiction de l’AfD au titre de l’article 21(2) de la Loi fondamentale. Les ONG ne peuvent saisir la Cour elles-mêmes, mais rassemblent les preuves.

Les manifestations massives (jusqu’à 1,4 million en un week-end en 2024–2025) montrent que l’immunité démocratique vient de la société civile, pas des partis.

Faiblesse systémique

Les défenseurs des droits n’ont pas le droit de saisir directement la Cour constitutionnelle. Ils doivent convaincre le Bundestag ou le gouvernement. Pendant ce temps, les radicaux gagnent une légitimité électorale.

Proposition : un « système immunitaire » constitutionnel via un ombudsman indépendant

Il faut un ombudsman puissant, indépendant, financé par l’État mais autonome.

Compétences :
• droit de saisir n’importe quel tribunal, y compris constitutionnel ;
• réseau d’ONG partenaires spécialisées ;
• possibilité pour chaque citoyen de déposer une plainte ;
• mandat électif, incompatible avec une carrière politique.

Exemple d’application :
Si un parti diffuse systématiquement des slogans extrémistes ou des appels à la haine, l’ombudsman saisit la Cour constitutionnelle pour en demander la dissolution.

Pourquoi c’est crucial maintenant

Si l’Allemagne reconnaît l’AfD comme anticonstitutionnelle, ce sera un signal pour toute l’Europe. Beaucoup de pays ne disposent pas d’institutions indépendantes équivalentes.

La définition de la démocratie libérale pourrait être complétée ainsi :
« …et un ombudsman indépendant comme élément égal du système de freins et contrepoids ».

Conclusion

La démocratie libérale a prouvé son efficacité — économique, sociale et surtout pacifique. Mais la paix « par défaut » n’existe plus. Nous avons besoin d’une immunité institutionnelle contre le radicalisme anticonstitutionnel.

Le renforcement du mouvement des droits humains n’est pas un « agenda gauchiste », mais une question de sécurité. Il peut consolider l’Europe et le monde, et préserver la stabilité

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