Le récent Sommet de la Paix en Suisse, l’appel des lauréats du prix Nobel et les déclarations qui ont suivi ont donné lieu à des prévisions sur la transition vers des négociations de paix d’ici la fin de l’année 2024. Les principaux arguments : des pertes énormes (tant militaires que civiles), une ligne de front figée et le fardeau économique mondial de la guerre. Mais à quel point Poutine est-il intéressé par le début des négociations de paix ? La situation en Ukraine est difficile, avec la mobilisation et les frappes constantes sur les infrastructures dans un contexte de dépendance critique envers les alliés, ce qui pourrait inciter Poutine à continuer pour atteindre ses objectifs. En attendant l’épuisement des forces internes de l’Ukraine, en travaillant sur la division au sein de la société ukrainienne et dans son système de soutien international, en misant sur des changements politiques aux États-Unis et en Europe. L’économie de la Russie est activement orientée vers un régime militaire, formant des groupes de bénéficiaires stables tant parmi les élites que parmi les couches les plus démunies de la population. Les chaînes logistiques internationales de la Russie sont également adaptées aux besoins de l’économie militaire. La transition vers une économie de paix est un processus extrêmement difficile et douloureux. Enfin, un processus de paix durable signifie la libération de centaines de milliers de personnes avec une expérience de combat, y compris des prisonniers amnistiés. Leur retour à la vie civile sera accompagné d’énormes difficultés. Les autorités leur promettent des honneurs, des avantages sociaux, des postes dans les administrations et les institutions publiques. Mais ces promesses seront difficiles à tenir. En cas de négociations de paix réussies, une masse énorme de personnes inutilisées, traumatisées, ayant risqué leur vie, ayant perdu des amis, du travail, de la santé et toute perspective de vie, sera laissée de côté en Russie. Les armes rapportées de la guerre ne pourront pas être suffisamment contrôlées par les autorités. Les grands bénéficiaires de la guerre comprennent parfaitement la perspective de leur inutilité en cas de fin de la guerre. Parmi eux se trouvent des personnes qui exploitent activement l’idéologie de la guerre et du national-patriotisme, et qui en tirent d’énormes profits et influence. Dans ce groupe, il y a de grands oligarques : par exemple, Malafeev, qui a financé l’invasion en Ukraine depuis 2014. Ce groupe a des racines dans le système de l’Église orthodoxe russe, dans l’armée, dans les structures de sécurité et dans les plus grands médias de propagande. Ajoutez à cela les ressources militaires : des unités combattantes efficaces, bien qu’intégrées dans la structure de l’armée, mais occupant une position spéciale.

Des hommes en uniforme militaire rendent hommage au défunt Evgueni Prigojine près d’un mémorial non officiel, 40 jours après sa mort, près du Kremlin à Moscou, le 1er octobre 2023. Photo : Maksim Shipenkov / EPA-EFE Il y a un an, « Wagner » dirigé par Prigojine dominait les médias sans partage. Mais aujourd’hui, des formations moins médiatisées mais encore plus soudées, de tendance ouvertement fasciste et nazie, fonctionnent à plein régime : par exemple, « Rousitch » et « Española ». Il convient de mentionner séparément la « Légion Impériale » — une organisation non seulement reconnue comme terroriste dans plusieurs pays, mais aussi un mouvement politique d’extrême droite. Que deviendront toutes ces structures en cas de transition vers des négociations de paix ? Il est probable que Poutine et son entourage soient méfiants après la rébellion de Prigojine. On ne sait pas dans quelle mesure Poutine lui-même soutient le fonctionnement de toutes ces structures, mais il n’a certainement pas besoin de leur renforcement. La guerre reste le seul moyen de leur assurer un « emploi complet » et de contrôler leur nombre. Le processus de paix aggravera ce problème. Mais d’un autre côté, la poursuite de la guerre conduit à une aggravation encore plus grande, juste différée dans le temps. L’influence et les capacités de l’aile armée idéologisée vont croître, modifiant l’équilibre au sein de l’entourage de Poutine. La dégradation croissante du domaine social, renforçant une tension déjà notable dans les régions, ne disparaîtra pas de cette équation. La guerre ne peut pas être éternelle. Les négociations de paix sont inévitables de toute façon. Et dans tous les cas, elles peuvent provoquer une déstabilisation politique. Le début des négociations sera perçu par l’écrasante majorité de la société russe avec un immense soulagement et espoir. Le danger vient précisément de l’aile national-patriotique radicale. Et avec la poursuite de la guerre ou le retard des négociations de paix, il ne fera qu’augmenter, notamment par l’élargissement de la base sociale des radicaux. En cas de déstabilisation, la partie la plus adéquate et modérée de l’entourage de Poutine risque de se retrouver en grand danger. Elle sera tout simplement mise de côté, ses actifs seront pillés. Chacun se verra rappeler tout son passé : la corruption pour certains, la nationalité ou l’origine pour d’autres, le manque de zèle pour d’autres encore. Une déstabilisation sérieuse peut conduire à l’effondrement de l’État, avec des conséquences catastrophiques bien au-delà des frontières de la Russie. Cela ne sert ni l’opposition démocratique russe, ni l’Occident collectif, ni la plupart des élites de Poutine.

Une femme tient une pancarte disant « Je suis Russe et je suis contre la guerre » lors d’un rassemblement à Cologne, Allemagne, le 28 février 2022. Photo : Focke Strangmann / EPA-EFE Que faut-il faire pour prévenir un tel scénario ? Premièrement. La partie modérée des élites de Poutine, en se sauvant, peut établir des contacts avec les principaux leaders de la société civile — leurs alliés naturels pour sortir de la guerre et prévenir le chaos en Russie. Le soutien sincère de millions de personnes, intéressées par une transformation pacifique du pouvoir, peut devenir un facteur clé de stabilisation, empêchant le pays de sombrer dans le chaos politique. Ce soutien ne peut être assuré que par des actions concrètes : la libération des prisonniers politiques et la garantie de la participation légale de l’opposition au processus politique. Le premier pas public confirmant les perspectives de dialogue au niveau national devrait être la libération des prisonniers politiques, qui, en prison, perdent leur santé de manière catastrophique et ont besoin de soins de qualité. Il existe toutes les possibilités légales pour cela : libération pour raisons de santé, amnistie ou grâce. Deuxièmement. L’opposition démocratique russe — à la fois à l’intérieur du pays et à l’extérieur — reste la force civile la plus adéquate, influente et organisée en Russie. Mais en tant que sujet du processus de négociation et de la future transformation politique de la Russie, elle doit démontrer un niveau beaucoup plus élevé d’unité et de coopération. L’opposition doit préalablement accorder sa réaction à différents scénarios de développement des processus politiques en Russie, atteindre des accords préalables sur des actions communes et un soutien mutuel. Ces accords doivent impliquer les principales initiatives civiles et de défense des droits de l’homme, ainsi que des représentants des médias d’opposition. Troisièmement. L’Occident doit partir du principe qu’il existe des arguments qui convainquent Poutine de continuer la guerre et lui donnent l’espoir de succès. Poutine doit comprendre que la fin de la guerre est la seule issue, y compris pour lui. L’Ukraine et l’Occident ont la possibilité réelle d’aider leur allié naturel — l’opposition russe — en incluant dans le paquet de demandes de base la libération des prisonniers politiques russes. Mais une telle position de l’Occident ne peut être favorisée que par une opposition démocratique unie, s’appuyant sur ses partisans en Russie, démontrant sa capacité à coopérer et à surmonter ses divergences pour un objectif commun. P.S. Nous sommes conscients que nos propos peuvent susciter des doutes, des craintes et des critiques. Mais la discussion doit porter sur le fond, et non sur des sujets pratiques pour la forme. La base de l’agenda de travail et du débat public doit être les questions pratiques sur l’avenir immédiat de la Russie.

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