Le monde est revenu à son état habituel de crise prolongée, à la normalisation des massacres de masse et de la persécution des gens. Tout est peint en noir et blanc, et les gens voient désormais le Bien et le Mal dans leur forme originelle, voire biblique.

C’est une vision véritablement traumatisante. Certains préfèrent fermer les yeux et ne pas regarder. D’autres cherchent à tout inverser grâce à la propagande. Mais, quelle que soit la perspective, le Bien et le Mal sont réels et perçus intuitivement par les gens.

Le Mal a toujours été défini par la violence envers les gens, en leur infligeant des souffrances, en détruisant leur vie paisible, leur chemin vers le bonheur, en les privant de perspectives, en les séparant de leurs proches, et finalement, en leur retirant leur liberté et leur vie.

Tout cela se déroule sous nos yeux. Et toute stratégie politique qui renforce ces phénomènes constitue un chemin vers la multiplication du Mal, peu importe les slogans ou objectifs rationnels qui pourraient être invoqués.

Quand une personne, privée de toute perspective d’avenir, vend sa vie pour de l’argent et part en guerre pour mourir elle-même, et peut-être tuer quelqu’un d’autre – n’est-ce pas du Mal ? Mais la racine de ce Mal réside dans le fait de placer des gens dans des conditions où ils sont prêts à vendre leur vie pour deux millions de roubles, sans voir d’autre issue.

Le Bien, quant à lui, est toujours défini par l’aide apportée aux gens, par la protection contre tout ce qui est mentionné plus haut. Le Bien exige la reconnaissance de la valeur inconditionnelle de la vie humaine, du droit de chacun à la liberté, à la sécurité, et enfin à la dignité. Cependant, le Bien, c’est toujours une action visant à réduire le Mal, à lutter contre lui, à surmonter les conséquences de ses abus et à améliorer les conditions de vie des gens. Le Bien ne peut être passif.

L’humanité a probablement survécu jusqu’à présent et continue à se développer grâce à sa quête du Bien, en cherchant des moyens d’éviter la violence et de la prévenir. Mais, encore une fois, nous n’avons pas eu la chance d’échapper à une situation où cela n’a pas été possible. Poutine a déclenché une guerre à grande échelle, dans laquelle des centaines de milliers de personnes, y compris des enfants, ont déjà péri, et des dizaines de villes ont été rasées. C’est un Mal Absolu avec lequel le monde continue à entretenir des relations d’affaires.

Y a-t-il une résistance à ce Mal en Russie ? Au moins cinq mille personnes sont actuellement emprisonnées en Russie, la plupart pour s’être opposées, d’une manière ou d’une autre, par la parole ou par des actes. On peut parler d’une résistance spontanée, héroïque, désespérée et sans espoir. Mais il y a autre chose.

La situation sur le front reste dans une impasse. La charge destructrice sur la Russie et l’Ukraine augmente, tout comme le nombre effrayant de victimes humaines et de destructions. L’opposition anti-guerre russe traverse une crise interne profonde, ne proposant aucune idée ou stratégie constructive à ses partisans.

Dans un contexte où aucune issue à la crise ne semble en vue, la meilleure stratégie devient un travail constant visant à réduire le Mal. Nous avons déjà écrit sur l’évolution de l’opinion publique en Russie, et sur le fait qu’étrangement, dans les régions russes, des dizaines voire des centaines de défenseurs des droits et d’activistes continuent de travailler activement. Ce sont ces personnes qui tiennent aujourd’hui la dernière ligne de défense contre le Mal, affrontant des risques croissants tout en manquant de ressources pour leur travail.

Ces personnes aident leurs concitoyens à entamer un dialogue difficile avec les autorités, assistent à des procès, attirent l’attention, soutiennent les prisonniers politiques et recherchent les victimes du régime. Elles tentent de résister là où c’est possible, de préserver ce qui reste intact, et de faire pousser du neuf dans la mesure de leurs moyens, préparant ainsi le terrain pour de futurs changements. Comme dans le célèbre livre d’Isaac Asimov et la série éponyme, ces personnes créent une Fondation qui permettra de réduire le temps de déclin et de chaos, et de restaurer une société démocratique normale en Russie dans un avenir proche. Si ces personnes disparaissent soudainement ou arrêtent leur travail, le Mal commencera à se répandre à une vitesse fulgurante, envahissant tout espace disponible, tandis que la société civile perdra son dernier appui.

Si nous croyons en la Russie, en son avenir libre et démocratique, en ses habitants, si nous nous faisons confiance à nous-mêmes, à nos proches, alors nous partons du principe que le rejet du Mal existe chez la majorité des gens normaux en Russie.

Beaucoup ne sont pas encore prêts à agir activement, par peur, par absence d’un point d’application clair ou par manque de perspective de succès. Mais ce sont les partisans ordinaires de l’opposition russe, et ils se manifestent lorsque l’occasion d’agir ou au moins de se déclarer se présente.

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